Avoir la messe de Minuit
Un Noël pas comme les autres !
Avoir la messe de minuit, chez soi, dans son église, c’était la meilleure façon de préparer Noël. Ce n’était pas toujours évident, le desservant avait déjà la charge de plusieurs paroisses.
Et à cette époque, il n’était pas question d’en modifier l’horaire : une messe de minuit se célèbre à minuit et l’on n’avait pas l’habitude de déroger aux traditions séculaires.
Même l’étoile de Noël, celle qui avait guidé les rois mages, était en place et restait figée au dessus des grands sapins de Cuvillat.
Un vrai décor de cartes de vœux : dans une nuit glacée, de petits sentiers creusés dans la neige, l’envolée des cloches se mêlant à la même heure à celles des pays voisins donnait le signal d’une fête joyeuse.
Quittant leur maison dont les fenêtres restaient allumées, les gens arrivaient en groupes à l’église et la nuit s’annonçait pleine de bonheur.
A l’intérieur de l’édifice, une douce chaleur dispensée par l’énorme fourneau à bois allumé depuis midi réchauffait les gens et les cœurs.
La crèche évidemment était garnie de branches de sapins, avec ses personnages, ses animaux, les mêmes qu’à Bethléem, pas un de plus.
L’ambiance était chaleureuse, l’église était pleine à craquer, même nos voisins de Corcelles étaient présents ; bien sûr, nous leur rendrions la politesse l’année suivante.
Dans les derniers arrivés, un quarteron de gars du pays avaient réussi à se caser tant bien que mal sur l’escalier menant à la tribune, ce n’était pas tous des habitués des offices, mais quoi ! Noël est la fête de tous.
A minuit, le révérend revêtu de la belle chasuble des grands jours, précédé de quatre clergeons* en tenue d’apparat, soutanes rouges et surplis amidonnés et plissés, sortaient de la sacristie au son d’un « Minuit chrétiens ! » entonné par le ténor Fernand dont la voix faisait vibrer les vitraux colorés de notre belle église.
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Kyrie, gloria, épître, évangile, credo de la messe en latin, tout se déroulait selon le rite ancestral avec les intermèdes musicaux de la chorale féminine regroupée près de l’harmonium – alléluia, jouez hautbois, résonnez musette, tous les classiques de l’époque.
Monsieur le curé se distingua dans un sermon plein d’optimisme. Toute proportion gardée, on ne pouvait faire mieux à Notre Dame de Paris.
On arrivait à l’offertoire, les deux enfants de chœur les plus qualifiés observaient à la lettre les prescriptions du parfait servant de messe avec beaucoup de sérieux.
Au moment où le prêtre élève le calice dans le silence et le recueillement, une puissante voix d’homme amplifiée par l’acoustique de l’église survola l’assistance. Il s’agissait d’un chant profane, le tube de l’année, je vous le donne en mille, le sacripant entonnait « Ah ! Le petit vin blanc ! » Les comparses suivirent, l’audace des joyeux drilles jeta un froid dans l’assistance ; l’officiant se retourna d’un bond, et même s’il n’est pas convenable dans un tel lieu de regarder derrière soi, tous les fidèles fixèrent la tribune.
Merci à Alain Sauquet pour ses images
Tous les fidèles ? C’est beaucoup dire ! Les familles des apprentis choristes qui avaient reconnu les voix, restaient figées, honteuses d’un tel scandale.
L’intermède dura quelques minutes, la cérémonie continuait, tandis que nos gaillards s’éclipsaient dans la nuit étoilée.
On venait de vivre localement une version des trois messes basses de Daudet, la truffe n’était pas dans l’encensoir de Garigou pour tenter le curé, mais nous avions presque fait pire.
« Ite Missa est ! » la messe était dite, monsieur le curé reprenant la parole transforma habilement cette incartade en péché véniel en rappelant à tous qu’il n’était pas convenable de faire Pâques avant les Rameaux et de réveillonner sans modération avant la messe de minuit.
Aujourd’hui, on en parle encore en souriant.
Pour moi, dernier témoin, cela reste un de mes bons souvenirs de Noël.
Marius Guy
*clergeon : nom donné aux enfants de choeur