Témoignage d'une patiente turberculeuse
LAISSEZ-MOI !
Ce titre pourrait signifier, fichez-moi la paix ! Ne comptez plus sur moi ! Mais aussi abandonnez-moi ! Prenez votre liberté ! En tout cas, il intrigue….
C’est en lisant les comptes rendus littéraires de la presse que nous sommes tombés sur ce titre de livre : « Laissez-moi ». Et quelle ne fut pas notre stupéfaction en lisant que cet ouvrage avait été écrit à Hauteville d’octobre 1930 à juin 1931 par une femme atteinte de tuberculose…
Nous pouvions donc penser que nous trouverions quelques détails intéressants sur la vie en sanatorium à cette époque.
Deuxième motif de stupéfaction, ce petit livre devient un best seller et se trouve dans les premières places au classement des meilleures ventes au palmarès de l’Express dans la catégorie « documents, essais, récits » et dans les meilleures ventes de la Fnac sur le magazine Le Point.
Il fallait donc absolument se procurer et lire ce petit chef-d’œuvre.-Librairie Bomel à Hauteville-
Publié en 1930, peu de temps avant sa mort à Davos, ce petit document édité à l’époque sous le titre « commentaire » fut saluer par les plus grands notamment Paul Valéry, Clara Malraux, Robert Brasillach, Paul Claudel qui parlera « d’un petit volume si amer, si pur, si noble, si lucide, si élégant, si sévère et d’une tenue si haute dans son allure désolée et déchirée ».
Il faut croire que Claudel aimait les femmes douloureuses si l’on se réfère aussi à la correspondance qu’il entretenait avec Françoise de Marcilly autre grande malade –Lettre à une amie, édition Bayard-
Le sujet du livre de Marcelle Sauvageot est le récit de la rupture avec un homme qu’elle a aimé et qui a fuit quand elle a été atteinte de tuberculose…Oh ! Elle est loin d’être la seule femme dans ce cas mais en novembre 1930 elle a commenté cette rupture.
Nous pouvons suivre son périple Hautevillois, ce débarquement à la gare de Tenay Hauteville : « Tenay Hauteville ! J’ai peur. Je voudrais ne pas descendre. Je voudrais me mettre dans un coin où l’on ne me voie pas ! » Combien de malades arrivant dans notre pays ont dû connaître les mêmes affres devant le décor débilitant de cette gare triste au milieu de ces montagnes hautes et inhospitalières. Décidément, cette gare devait être atroce car même le grand Joseph Kessel habitué à la dure, la trouvait horrible quand il venait visiter son épouse elle-même malade.
Puis, « il pleut, il fait noir je regarde intensément le sanatorium pour prendre d’avance toute la souffrance que je vais y ressentir !...Des hommes et des femmes en robe de chambre, des yeux caves, des toux, je me sens redevenir malade. Pourquoi suis-je revenue ? »
Suis l’aria tragique d’un opéra qui célébrerait l’amour non partagé, l’abandon par l’être aimé ; cette perte d’un amour qui est une souffrance égale à celle de la maladie, l’amitié proposée en compensation de cette perte mais qui parait tellement fade, la méditation sur la souffrance, sur la capacité à aimer et à savoir aimer !
Magnifique réflexion tellement actuelle pour ceux et celles qui sont atteints dans leur chair…Ce n’est plus la tuberculose, mais le cancer, le sida, ces maladies terribles…
« Quand une souffrance est inconnue, on a plus de force pour lui résister, car on ignore sa puissance : on ne voit que la lutte et on espère qu’une vie plus pleine reprendra plus tard. Mais quand on sait, on voudrait lever les mains pour crier grâce et dire avec une stupeur fatiguée : « Encore ! » On voit toutes les phases douloureuses par où il faudra passer et on sait qu’après il y a le vide. »
Quelle magnifique définition de la souffrance et tellement actuelle !
Superbe méditation sur cet amour perdu qui n’accompagne plus votre souffrance, réflexion profonde aussi sur cette vie qui s’en va dans la nuit glacée du plateau d’Hauteville, « fenêtre grande ouverte alors que le froid accuse vingt degrés… », Ce rappel de « l’hymne de ces toux qui craquent comme du bois sec » de ces filets de sang qui filtrent des lèvres…
Comme nous sommes prompts à oublier ces douleurs anciennes que nous avons bien connues dans notre station….Mais Marcelle Sauvageot évoque aussi Noël 1930 avec « cette grande salle à manger décorées de banderoles aux couleurs vives et cette grande table ornée de fleurs qui réunissait les malades groupés par affinités extérieures » ; souvenir de ce bal où la maladie semblait disparaître pour un temps mais qui ne tenait pas plus d’un jour….
Ce petit livre de 80 pages présente toujours une actualité cruelle pour ceux qui souffrent de maladies qui n’offrent que peu de lendemains. Il est pour nous les bien portants, une leçon qui nous empêchera de gémir et de plaindre pour des petits maux qui n’en valent pas la peine !
L’auteur après une rechute de sa maladie mourut à Davos dans une grande paix où elle devait s’endormir.