La lessive autrefois!
LA GROSSE LESSIVE DU PRINTEMPS !
Avant que ne commencent les travaux des champs, il fallait se libéré des soucis ménagers tout d’abord en faisant la lessive.
Faire la lessive pour les maîtresses de maison, c’était comme la batteuse pour les hommes, des journées… rouges !
Il fallait choisir la date en dehors du carême, de la lune nouvelle et surtout éviter la semaine sainte (on disait que celle qui lavait son linge cette semaine lavait son linceul !)
On préparait tout à l’avance : sous l’avant toit, le trépied supportait le cuvier qui n’avait pas servi depuis la saint cochon ; le feu était préparé sous la chaudière et les cendres ancêtres de toutes les poudres modernes disposées dans le « fleurier » étaient prêtes.
Il faut dire que ces cendres n’étaient pas des cendres ordinaires, comme nous ne brûlions que des résineux qui auraient noirci le linge, nous les récupérions au four banal où nous n’utilisions que des fagots de frêne ou de noisetier. Elles étaient ensuite tamisées pour n’en garder que la fleur ; et c’était peut être pour cette raison que le sac qui les contenait s’appelait le « fleurier ».
On pouvait commencer, les draps trempaient dans l’eau froide du cuvier depuis la veille et dès que l’eau commençait à bouillir on arrosait le « fleurier » posé au sommet du linge.
Cette eau devenue « lissieu » était récupérée et à l’aide d’un puisard reversée sur les draps qui avaient été auparavant réchauffés ; l’opération pouvait durer plusieurs heures.
Un petit fagot de frêne posé au fond du cuvier gardait libre l’écoulement.
Les lavandières partiraient ensuite au lavoir qui ne sert aujourd’hui que de refuge aux jeunes noctambules, pour le brossage, la dernière inspection et le rinçage. Elles entassaient le linge dans de grandes corbeilles en noisetier blanchies par le dépôt renouvelé des anciens « lissieux », elle le chargeait sur des brouettes accompagné de la brosse et du légendaire savon de Marseille portant la mention encastrée –savon de Marseille 72% de matières grasses-
Une grande et longue journée s’achevait et l’on fêterait ce soir la fin de la corvée avec les deux voisines venues nous aider, elles nous racontaient chaque année les mêmes histoires et nous chantaient en patois des comptines d’un autre siècle pleines d’esprit et un tantinet polissonnes.
Elles reviendraient demain pour l’étendage, elles tendraient dans le verger l’immense cordeau blanchi lui aussi par toutes les campagnes.
Amarré au vieux pommier, il reliait le prunier au cerisier qui n’avait jamais eu de fruit, au poirier et à tous les supports possibles transformant notre pré en un gigantesque patchwork.
Les draps n’étaient jamais repassés, quand ils étaient secs nos lavandières les passaient sur le cordeau bien tendu, les secouaient, les étiraient avant de les rentrer.
Cette corvée appelée coulée ou « bouillia » se terminait.
Il a fallu passer par là pour arriver à laver son linge en n’appuyant que sur un seul bouton, mettre ses affaires vestimentaires ou domestiques sales d’un côté et les retirer propres et à moitié sèches sans aucune intervention de la ménagère.
Parce que le linge était plus solide qu’aujourd’hui, parce que nous en changions moins souvent et qu’avec de vieux draps on pouvait toujours faire des torchons, les armoires regorgeaient de linge et les trousseaux des aïeules passaient de génération en génération. Le linge sale était entassé des mois durant dans les placards et seul le printemps lui redonnait sa blancheur presque originelle.
Encore une histoire du passé bien dépassée, un énorme progrès a été réalisé mais un seul regret subsiste: toutes ces poudres onéreuses qui veulent faire du blanc « plus blanc que blanc » ne valent pas mieux que le lissieu de ma grand-mère.
Marius Guy (Livre Quinet raconte)